Comprendre le paradoxe masculin face à la santé

Parler de santé des hommes, c’est souvent constater un paradoxe : ils ont une espérance de vie plus courte que les femmes (79,4 ans contre 85,5 ans en France, Insee 2023) et une surmortalité pour la plupart des cancers, tout en consultant moins fréquemment leurs médecins. D’après Santé Publique France, près de 30 % des hommes âgés de 18 à 65 ans n’ont aucune consultation annuelle hors hospitalisation (Baromètre santé 2021). Chez ceux âgés de 50 à 74 ans, population majeure pour le dépistage du cancer colorectal et de la prostate, la tendance reste marquée, surtout dans les milieux les plus précaires ou éloignés du système de soins.

Plusieurs raisons se conjuguent : sentiment d’invulnérabilité, peur du diagnostic, stéréotypes virils, manque d’information, difficultés à prendre rendez-vous pour eux-mêmes, précarité, ou simplement manque de temps et de disponibilité. Repérer ces freins est indispensable pour mieux les dépasser.

Des risques bien identifiés, des dépistages encore trop boudés

En France, les cancers de la prostate, colorectal et du poumon représentent plus de la moitié des cancers masculins (source : Institut National du Cancer, Panorama 2023).

  • Le cancer de la prostate : 1er cancer chez l’homme, avec 59 000 nouveaux cas et 8 100 décès par an (Inca, 2023). Le dépistage individuel est discuté au cas par cas à partir de 50 ans.
  • Le cancer colorectal : 23 000 cas/an chez les hommes, taux de participation au dépistage : 34,6 % seulement chez les hommes (contre 45,5 % chez les femmes, données 2021, Assurance Maladie).
  • Le cancer du poumon : Surreprésenté chez les hommes en raison du tabagisme plus fréquent, pronostic très sombre si diagnostiqué tardivement.
A titre d’exemple en Seine-Saint-Denis, territoire plus jeune et moins favorisé, moins d’un homme sur trois réalise le test de dépistage colorectal en temps et en heure (Caisse Primaire d’Assurance Maladie 93, données 2023).

Avoir la bonne approche : respect, écoute et individualisation

Rencontrer un homme qui consulte rarement n’est pas une occasion de donner une leçon de morale mais un moment clé pour ouvrir le dialogue sans jugement. Voici quelques principes forts :

  • Eviter de culpabiliser. S’appuyer sur l’écoute, l’explication simple des enjeux et des bénéfices du dépistage.
  • Partir des préoccupations concrètes de la personne : fatigue, douleurs, santé sexuelle, habitudes de vie… et identifier les opportunités de parler prévention.
  • Valoriser l’autonomie et la responsabilité de chacun, plutôt que d’insister uniquement sur le risque ou la peur.
Des études montrent qu’un échange de 3 minutes, bien ciblé lors d’une consultation, peut influer positivement sur la décision de dépistage (Revue Prescrire, 2022).

Identifier les moments clefs pour agir

Dans la pratique, beaucoup d’hommes arrivent en consultation pour des urgences, renouvellements d’ordonnance ou démarches administratives. Pourtant, certains moments sont propices pour aborder la question du dépistage, même brièvement :

  • Visites pour une affection ponctuelle (mal de dos, troubles urinaires, etc.)
  • Bilan de santé en entreprise ou visite de médecine du travail
  • Démarches administratives (demande de certificat, assurance)
  • Prise de contact pour une vaccination ou un dépistage COVID/IST
  • Passage en pharmacie pour un problème courant
Profiter de ces fenêtres d’opportunité est souvent plus efficace qu’attendre une consultation « idéale ».

Le poids du territoire et l’importance de l’accessibilité

Localement, la situation demande encore plus de vigilance. En Seine-Saint-Denis, 17 % des habitants n’ont pas de médecin traitant déclaré (CPAM, 2022). L’offre de dépistage doit donc aussi passer par des relais extra-médicaux :

  • Actions en entreprise et sur les lieux de travail
  • Ateliers santé dans les centres sociaux, gymnases, stades, marchés
  • Campagnes de sensibilisation dans les réseaux associatifs et communautaires
  • Pharmaciens et infirmiers de proximité, relais de prévention
L’expérience montre que les campagnes menées “hors les murs” renforcent la participation masculine, notamment par la réduction des barrières symboliques (source : Santé Publique France, Synthèse 2022).

Parler chiffres pour convaincre : les données qui parlent

Les messages trop génériques ou anxiogènes touchent rarement leur cible. Mettre en avant des éléments concrets et adaptés à la réalité des hommes rend le discours plus percutant. Quelques faits marquants à partager :

  • L’espérance de vie d’un homme sans recherche de cancer colorectal aux âges recommandés est réduite de 2,3 ans en moyenne selon l’Inca.
  • Repérer un cancer colorectal à un stade précoce, c’est augmenter les chances de guérison de 90 % (source : Assurance Maladie).
  • Un dépistage simple, indolore (test immunologique), prend moins de 10 minutes chez soi, sans rendez-vous obligatoire au préalable.
  • Parmi les hommes dépistés, le sentiment de satisfaction d’avoir agi pour sa santé est supérieur à 70 %, loin devant le regret ou l’inquiétude (étude Ifop Santé, 2021).
Personnaliser ces messages lors de l’entretien aide à lever le doute.

Casser les idées reçues, restaurer la confiance

Dans le public masculin, plusieurs fausses croyances freinent la démarche de dépistage :

  • “Ce n’est pas pour moi, je n’ai pas de symptôme.”
  • “Si on me trouve quelque chose, c’est déjà trop tard.”
  • “Le test est compliqué, gênant ou inutile.”
Or, la grande majorité des cancers dépistés l’ont été sur des personnes asymptomatiques (Inca, Rapport 2023). Effectuer un test simple, parfois même à domicile, permet d’agir tôt. Beaucoup d’hommes découvrent ainsi que le dépistage n’est pas synonyme de maladie mais d’anticipation, parfois même de soulagement.

Travailler sur le climat de confiance, renforcer la pédagogie et valoriser chaque progrès favorisent l’adhésion.

Renforcer l’alliance entre professionnels et relais de terrain

L’impact du dépistage dépend de la mobilisation collective. Les initiatives qui associent professionnels de santé, associations, collectivités et acteurs économiques multiplient leur efficacité. A titre d’exemple, certaines campagnes dans le 93 couplent ateliers d’information en entreprises et distribution de kits directement remis par le pharmacien ou l’infirmière de quartier.

Inclure la famille, impliquer les conjoints, les enfants ou les amis dans la démarche est souvent un levier supplémentaire : dans 40 % des cas, c’est l’entourage qui motive l’homme à participer à un dépistage (source : Ligue contre le cancer).

Quelques leviers concrets pour aller plus loin

  • Proposer l’explication du dépistage sur différents supports (visuels, vidéos, fiches claires) et dans plusieurs langues parlées dans le territoire.
  • Mettre en avant la rapidité et la simplicité des démarches (distribution directe de kits, accompagnement lors des ateliers).
  • Valoriser des “ambassadeurs masculins” : anciens dépistés, sportifs locaux, membres de la communauté, pour briser la glace.
  • S’appuyer sur des exemples concrets et positifs, parfois humoristiques, pour dédramatiser.
  • Faire du dépistage un réflexe citoyen, discuté comme on parlerait d’assurance ou de sécurité routière.

Un enjeu collectif, un choix individuel

Ouvrir le dialogue sur le dépistage du cancer chez les hommes qui consultent peu, c’est choisir une approche à la fois respectueuse, adaptée et innovante. Les habitudes de consultation évoluent lentement, mais chaque pas compte — un mot bienveillant du pharmacien, une discussion à la salle de sport, ou une initiative d’entreprise peuvent servir de déclic. S’informer, c’est pouvoir agir, et parfois sauver une vie.

Pour poursuivre l’action, retrouvez les ressources adaptées à votre quartier et les contacts utiles sur notre page dédiée. La lutte contre le cancer commence aussi par une meilleure information, accessible à tous, en Seine-Saint-Denis comme ailleurs.

Sources : Santé Publique France ; Institut National du Cancer ; Assurance Maladie ; Ligue contre le cancer ; Insee ; CPAM 93 ; Revue Prescrire ; Ifop Santé.

En savoir plus à ce sujet :