Une réalité alarmante : précarité et moindre recours au dépistage dans le 93

Le département de Seine-Saint-Denis cumule plusieurs facteurs de vulnérabilité. Selon l’Observatoire régional de santé d’Île-de-France (ORS, 2022), près de 30 % des habitants vivent sous le seuil de pauvreté. Les hommes des quartiers populaires du 93 présentent un taux de participation au dépistage du cancer colorectal inférieur de près de 10 points à la moyenne nationale (Données INCa, 2023). Pour le cancer de la prostate, le retard au diagnostic est aussi plus fréquent, aggravant les chances de survie.

Les hommes en situation de précarité, souvent confrontés au chômage, à des conditions de logement difficiles, à la précarité administrative ou à l’isolement social, cumulent les obstacles à la santé. Ce cumul pèse lourdement sur le recours au dépistage :

  • Moindre accès aux soins : D’après la CPAM 93, la renonciation à des soins pour raisons financières concerne 1 homme sur 5 dans le département (2021).
  • Méconnaissance des dispositifs : Près de la moitié des hommes précaires interrogés par l’ORS déclarent ne pas connaître les programmes de dépistage gratuits.
  • Barrières socioculturelles : Certaines populations issues de l’immigration évoquent la peur, le tabou autour des examens intimes ou le manque de confiance dans le système.

Face à ces enjeux, les campagnes “classiques” peinent à atteindre les publics concernés.

Identifier et comprendre les freins spécifiques au dépistage masculin

L’accès au dépistage ne dépend pas uniquement de la pauvreté. Plusieurs freins se combinent souvent chez les hommes précaires :

  • Le rapport à la santé masculine : Pour beaucoup d’hommes, consulter sans présenter de symptômes reste inhabituel. La virilité est souvent associée à la résistance, ce qui peut conduire à ignorer des symptômes ou à refuser des examens préventifs, comme le test du PSA pour le cancer de la prostate (La Santé en action, INSP, 2022).
  • Le manque de temps : Nombreux sont ceux qui cumulent plusieurs emplois ou qui vivent dans l’incertitude, rendant la planification de rendez-vous difficile.
  • L’insécurité linguistique : Une part importante de la population masculine du 93 n’a pas le français comme langue maternelle : cela complexifie la compréhension des courriers d’invitation au dépistage ou des messages de prévention.
  • Le non-recours institutionnel : Peur de la stigmatisation ou crainte du regard de l’administration, notamment chez les hommes sans papiers ou en situation administrative précaire.
Frein spécifique Conséquences sur le dépistage
Tabou autour de la santé masculine Retard de consultation, moins de tests réalisés
Difficultés linguistiques Non-compréhension des invitations, renoncement
Instauration de la confiance Moins d’adhésion aux campagnes classiques de dépistage

Dépistages concernés et impact d’un diagnostic tardif

Chez les hommes, certains cancers sont particulièrement concernés :

  • Cancer colorectal : Le test immunologique est gratuit pour les 50-74 ans, mais la participation reste faible dans le 93 (< 25 %, INCa 2022).
  • Cancer de la prostate : La précarité retarde souvent le premier examen, or détecté tôt, ce cancer peut être pris en charge avec de bien meilleures chances de guérison.
  • Cancers du poumon et de la bouche : Plus fréquents chez les hommes exposés à des facteurs de risque (tabac, alcool, expositions professionnelles) et souvent découverts à un stade avancé.

Diagnostiquer ces cancers plus tôt permettrait d’éviter jusqu’à 30 % de décès évitables par an selon Santé Publique France.

Des initiatives locales pour réduire les inégalités : exemples et inspirations

Des solutions concrètes existent déjà dans le 93 ou dans d’autres territoires présentant des profils similaires :

  • Maraudes et prévention “hors les murs” : Des équipes mobiles (infirmiers, médiateurs) vont vers les publics dans les foyers de travailleurs, accueils de jour, associations et marchés, pour informer en face-à-face, offrir des tests ou faciliter la prise de rendez-vous. Exemple : l’action “Aller-vers Dépistage” menée conjointement par la CPAM et le Département auprès des publics précaires.
  • Interprétariat et médiation en santé : L’appel à des médiateurs issus des mêmes communautés permet de mieux comprendre les freins culturels ou linguistiques. Ils adaptent le discours et lèvent les craintes, comme le montrent les actions de l’AP-HP Nord dans les quartiers populaires.
  • Partenariats associatifs : Le lien avec les associations locales qui accompagnent les hommes précaires en logement, insertion ou droits sociaux permet de relayer le message et d’accompagner la réalisation effective du dépistage, en rassurant sur la confidentialité et la gratuité : par exemple, Aides, Emmaüs ou France Terre d’Asile.

Ces actions, souvent ponctuelles, gagnent à être inscrites dans la durée et à bénéficier d’une meilleure coordination territoriale.

Renforcer l’accessibilité des lieux de dépistage

Dans de nombreux quartiers populaires de Seine-Saint-Denis, les centres de santé sont parfois peu identifiés ou perçus comme difficiles d’accès :

  • Étendre les horaires pour inclure soirs et week-ends : cela permet à ceux qui travaillent de s’y rendre sans perdre de journée de salaire.
  • Développer le dépistage dans les lieux de vie : pharmacies, clubs sportifs, centres sociaux, épiceries solidaires — autant d’endroits où les hommes ont déjà leurs repères et où la prévention peut venir à eux.
  • Simplifier la prise de rendez-vous : Numéros uniques, absence de nécessité de carte vitale pour l’accès au test, appui aux personnes en fracture numérique.

Selon l’Agence Régionale de Santé Île-de-France, la mise en place de rendez-vous sans obligation d’avancer les frais (“tiers payant intégral”) augmente la participation de 8 à 12 points dans les populations les plus précaires (Rapport ARS 2019).

Mieux informer, mieux comprendre : le défi de la communication adaptée

Plaquer les messages nationaux ne suffit pas. Pour toucher les hommes qui décrochent des dispositifs classiques, la communication doit s’ancrer dans leur réalité :

  1. Utiliser des supports adaptés : Affiches multilingues dans les lieux d’attente, vidéos courtes sur les réseaux sociaux locaux, podcasts diffusés par les médiateurs de quartier.
  2. Témoignages positifs : Mettre en avant des histoires de “pairs” ayant bénéficié d’un dépistage précoce, pour dédramatiser l’acte et créer l’identification.
  3. Expliciter la gratuité et l’anonymat : Beaucoup d’hommes hésitent par peur des conséquences administratives ou financières. Rappeler que le cancer colorectal, par exemple, peut être dépisté gratuitement, sans avance de frais ni obligation d’être en situation régulière.

Le dernier Baromètre Cancer de l’INCa (2023) note que la compréhension individuelle du dépistage double le taux de participation, toutes populations confondues.

Des acteurs de proximité à mobiliser pour rompre l’isolement

Favoriser l’accès au dépistage requiert d’impliquer :

  • Les infirmiers de pratique avancée, qui peuvent organiser des consultations spécifiques de prévention et aiguiller vers les tests à faire.
  • Les pharmaciens de quartier, de plus en plus sollicités pour délivrer l’information et, prochainement, pour réaliser certains tests de dépistage directement à l’officine.
  • Les médiateurs en santé, employés par les associations ou les collectivités, qui sont des relais de confiance.
  • Les clubs sportifs ou structures de loisirs fréquentées par les hommes, bons vecteurs pour des campagnes ciblées.

L’approche pluri-professionnelle, inscrite dans la dynamique des Communautés Professionnelles Territoriales de Santé, montre déjà des effets sur l’augmentation de la participation au dépistage (voir rapport CPTS Est Ensemble, 2023).

Intégrer le dépistage à la lutte plus large contre la précarité

Permettre aux hommes les plus fragiles d’accéder au dépistage, c’est aussi agir sur d’autres leviers :

  • Lutter contre la fracture numérique et d’information par la présence de relais humains
  • Offrir la possibilité de coupler dépistage et accompagnement vers les droits sociaux (accès à l’Assurance Maladie, aide à la domiciliation, soutien psychologique)
  • Créer des parcours simplifiés, où le repérage des situations à risque se fait dès l’accueil (services sociaux, accueils de jour, Missions locales)

Perspectives pour une mobilisation collective

Le défi de l’accès au dépistage pour les hommes précaires du 93 ne se résume pas à la diffusion d’un message, mais à une action collective, soutenue et adaptée au terrain. Les expériences les plus fructueuses associent des professionnels de santé, des médiateurs de terrain, des associations et les habitants eux-mêmes. Quelques rendez-vous annuels emblématiques (Octobre Rose, Mars Bleu) sont déjà structurants, mais pour toucher durablement les hommes les plus en marge, c’est au quotidien que s’invente la santé de demain. Investir dans la proximité, dans l’écoute, dans des solutions innovantes et humaines, permettrait de lever bien des freins et de bâtir, pas à pas, une santé plus juste.

Pour aller plus loin :

  • INCa – Institut National du Cancer
  • ORS Île-de-France – Bulletins santé précarité
  • ARS Île-de-France – Rapport “Inégalités face au dépistage”, 2019
  • CPAM 93 – Tableau de bord prévention, 2021

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