Pourquoi cibler la sensibilisation sur les cancers digestifs dans le 93 ?

Le département de la Seine-Saint-Denis est à la fois jeune et populaire, mais il doit aussi faire face à des inégalités sociales et de santé majeures. Le taux de surmortalité y est 60% plus élevé qu’en moyenne nationale, d'après l’Agence régionale de santé Île-de-France, et les cancers digestifs (colorectal notamment) ne font pas exception.

Quelques chiffres clés :

  • Le cancer colorectal est le 2ème cancer le plus meurtrier en France, avec environ 17 000 décès par an (Source : Santé Publique France).
  • Le taux de participation au dépistage organisé du cancer colorectal en Seine-Saint-Denis tournait autour de 21% en 2021, très en dessous de la moyenne nationale (33%) (Source : Assurance Maladie - CRCDC IdF).
  • Les populations vivant en quartiers populaires présentent une prévalence accrue de facteurs de risque : tabac, obésité, alimentation déséquilibrée, sédentarité, précarité économique.

Détecter tôt les cancers digestifs, c’est augmenter les chances de guérison. Malheureusement, le diagnostic est trop souvent tardif chez les personnes les plus fragiles socialement.

Quels obstacles freinant la prévention et le dépistage ?

Avant d'interroger les actions sur le terrain, il est nécessaire de comprendre les freins spécifiques à la sensibilisation dans les quartiers populaires :

  • Difficultés d’accès aux soins de premier recours relatives au maillage médical parfois insuffisant dans certaines villes du 93.
  • Barrières linguistiques et culturelles dans un département où plus de 55% des enfants ont au moins un parent né à l’étranger (INSEE 2020).
  • Manque d'informations adaptées et compréhensibles, notamment sur le dépistage organisé du cancer colorectal (le test immunologique envoyé entre 50 et 74 ans).
  • Défiance face au système de soin accrue, alimentée par des expériences parfois négatives, la peur du diagnostic, ou le prix supposé de certains examens.
  • Tabous et fatalisme autour du cancer, du corps, ou de l’alimentation dans certaines communautés ou cultures.

Ces réalités plaident pour des actions de prévention qui aillent au-delà du “simple” discours médical, en s’appuyant sur le tissu social et les acteurs de proximité.

Panorama des principales actions de sensibilisation existantes dans le 93

Le rôle central du CRCDC-IdF et des campagnes nationales

Le Centre Régional de Coordination des Dépistages des Cancers Île-de-France (CRCDC-IdF) est en première ligne. Ses missions : organiser le dépistage, envoyer les invitations, former les professionnels de santé, et mener des opérations de sensibilisation ponctuelles dans le département.

Chaque année, lors de “Mars Bleu” – mois de promotion du dépistage du cancer colorectal –, des stands, conférences, actions en pharmacies et centres de santé fleurissent en Seine-Saint-Denis. Certains événements sont traduits, animés par des médiateurs ou destinés à des groupes de femmes ou de familles, avec des outils adaptés (plaquettes en langues étrangères, vidéos sous-titrées).

  • Exemple : Actions itinérantes en bus de prévention de la CPAM 93 dans les marchés de Saint-Denis, Montreuil ou Aubervilliers avec remise de tests et informations sur place.
  • Animations en EHPAD ou foyers pour personnes âgées, publics rarement ciblés ailleurs.
  • Ateliers collectifs dans les centres de santé municipaux (La Courneuve, Bondy…)

Mais le constat demeure : le taux de participation ne décolle pas, prouvant les limites des campagnes standardisées face aux réalités locales.

Les initiatives de proximité, levier crucial : médiateurs santé et associations

Depuis quelques années, des acteurs associatifs et sociaux se mobilisent pour renforcer la prévention par l’ancrage local et la pédagogie “sur-mesure”.

  • Médiateurs en santé : Employés par les villes ou structures médico-sociales, ils vont à la rencontre des habitants là où ils vivent : halls d’immeubles, marchés, lieux d’habitat partagé… Ces médiateurs parlent plusieurs langues et déconstruisent les idées reçues en s’adaptant à la culture du public.
  • Associations comme Femmes Relais 93 ou France Assos Santé Île-de-France : Par exemple, elles organisent des ateliers, des cafés-cancers avec témoignages de patients, des permanences pour expliquer les tests, ou accompagner la prise de rendez-vous.
  • Alliances avec les réseaux de quartiers : Certains centres sociaux ou maisons de quartier intègrent la thématique des cancers digestifs dans des ateliers nutrition, des journées “santé et bien-être”, pour dédramatiser la prévention en l’inscrivant dans des activités du quotidien.
  • Partenariats inter institutionnels : ARS, Assurance Maladie, collectivités locales et associations pilotent des “parcours prévention” à destination de publics vulnérables, couplant dépistage, éducation à la santé, et orientation médico-sociale.

Le point commun de ces initiatives ? Mettre l’accent sur la confiance, le dialogue et l’accompagnement individuel. En 2023, de tels dispositifs ont permis d’enrôler plus de 10 000 habitants en actions de sensibilisation santé dans le département (source : Observatoire régional de santé, ORS-IDF).

Focus sur l’innovation : les outils numériques et la prévention mobile

La crise du Covid-19 a accéléré l’usage du numérique pour pallier la distance et l’éloignement des publics. En Seine-Saint-Denis, de nouveaux canaux ont vu le jour :

  • Diffusion de spots vidéo sur les réseaux sociaux locaux (Facebook, WhatsApp, TikTok) expliquant le dépistage du cancer colorectal avec codes graphiques simplifiés.
  • Webinaires multilingues sur la nutrition et la prévention des cancers digestifs, parfois animés par des médecins bénévole.
  • Applications de e-santé utilisées avec les médiateurs : tutoriels pour expliquer et réaliser le test chez soi, prise en charge de rendez-vous médicaux en ligne pour lever les freins logistiques.
  • Envoi de notifications ciblées via les plateformes de la CPAM ou de partenaires locaux pour rappeler les campagnes de dépistage, notamment auprès des personnes éloignées des soins.

Toutefois, l’illectronisme, qui touche 1 personne sur 3 dans certains quartiers du 93 (Baromètre du Numérique 2022), rappelle la nécessité de coupler ces outils à la présence humaine.

L’importance des relais communautaires et de la pédagogie culturelle adaptée

Le 93 est un département à la fois très urbanisé et très cosmopolite. La prévention efficace ne peut donc pas être “copiée-collée” du reste du territoire national.

  • Adaptation linguistique : Les brochures de sensibilisation et guides pratiques sur le dépistage du cancer colorectal sont traduits en arabe, turc, portugais, wolof, tamoul…
  • Approche interculturelle : Des “ambassadeurs santé” issus des quartiers participent à des groupes de discussion sur l’alimentation, la gestion du stress, ou la place de la maladie dans la famille, en abordant sans tabou les sujets sensibles.
  • Mise en valeur de témoignages : Plusieurs associations intègrent à leurs ateliers des témoignages de patients du quartier guéris ou accompagnés, instaurant un climat de confiance propice au dialogue. La parole de “pairs” est jugée plus crédible que celle d’un “expert extérieur”.

Ce sont souvent ces relais de proximité qui contribuent à lever les freins aux dépistages digestifs en Seine-Saint-Denis.

Quels résultats et quels freins rencontrés ?

Les retours de terrain sont mitigés : les actions de fond progressent, mais restent insuffisantes face à l’ampleur des inégalités. Selon l’Assurance Maladie, seulement 1 personne sur 5 dans le 93 réalise effectivement le test de dépistage du cancer colorectal lorsqu’elle y a droit. Plusieurs causes persistent :

  • Manque de temps et surcharge des professionnels de proximité, qui ne peuvent pas toujours consacrer le temps nécessaire à la pédagogie lors des consultations.
  • Stigmatisation : Certains habitants associent la prévention digestive à une “cible” des populations précaires, avec le sentiment d’être “pointés du doigt”.
  • Mobilité résidentielle importante (déménagements réguliers), rendant difficile le suivi des invitations et la continuité des actions.
  • Manque de moyens humains stables : la précarité associative complique le maintien de médiateurs formés sur la durée.

Cependant, des signaux encourageants existent : dans certains quartiers où les médiateurs santé sont présents depuis plusieurs années, des hausses de 3 à 5 points du taux de participation au dépistage ont été observées (CRCDC-IdF, bilan 2019-2022).

Renforcer et innover : quelles pistes pour demain ?

Pour faire progresser la prévention des cancers digestifs dans les quartiers populaires du 93, plusieurs leviers pourraient être déployés ou renforcés :

  • Multiplier les “aller-vers” : Bus, kiosques mobiles, intervenants de rue qui distribuent le test à domicile et montrent concrètement comment le faire.
  • Former davantage d’ambassadeurs santé locaux, issus des communautés, capables de porter le message sur la durée et en confiance.
  • Appuyer sur la nutrition adaptée et la lutte contre les facteurs de risque (alimentation, alcool, tabac) à travers des ateliers pratiques.
  • Associer les pharmacies de quartier, souvent premier point de contact santé pour nombre d’habitants, dans la distribution et l’explication du test.
  • Impliquer écoles, collèges, lieux de formation, pour relayer la culture de la prévention dès le plus jeune âge, en ciblant aussi les parents.
  • Améliorer l’accompagnement numérique des plus éloignés tout en gardant une présence physique indispensable.

Les enjeux à venir vont au-delà du dépistage strict : il s’agit d’inscrire le message de prévention dans la vie quotidienne des quartiers, d’encourager la parole sur la santé digestive, et de donner à chacun les clés pour devenir acteur de sa santé.

Pour aller plus loin

L’expérience du 93 démontre qu’on ne peut aborder la prévention des cancers digestifs sans prendre en compte les spécificités sociales, culturelles et logistiques du territoire. À chacun d’entre nous – professionnels, habitants, familles, associations – de s’en saisir pour changer la donne, un geste après l’autre.

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